Par Josée Boudreau, réd. a.
Auteure du Guide impertinent du rédacteur (Éditions Au carré)
Tout le monde s’accorde pour le dire : la maîtrise du français est catastrophique dans l’enseignement supérieur au Québec. Cette situation ne mérite aucun débat tant elle fait consensus, n’est-ce pas? Et si ce consensus était toujours étayé par des preuves anecdotiques? Des témoignages de professeurs las qui ne sont peut-être pas eux-mêmes les mieux outillés pour se prononcer?
Où se profile un profil…
Je vais vous confier un secret : je fais tout dans le désordre. Est-ce en raison d’une touche d’anticonformisme, d’une mutation génétique? Probablement les deux, mais le résultat est que les grands événements de ma vie suivent un ordre chronologique différent du vôtre.
C’est donc sans surprise de ma part que la SQRP m’a commandé une réflexion sur la qualité du français dans l’enseignement supérieur quelques semaines avant la conclusion attendue du diagnostic demandé par la ministre Danielle McCann à un comité d’experts.
La voici. Mais avant, un retour en arrière…
À l’âge de 45 ans, j’ai fait mon entrée au cégep – pour la première fois – après l’obtention de trois diplômes universitaires.
Un soir de janvier 2015, j’ai donc franchi la porte d’une salle de cours, où l’enseignante avait ouvert la première page de sa présentation à l’écran : ÉTUDE DU PROFILE. Sous ce titre, la silhouette d’une statue vue de côté laissait peu de place à l’interprétation. Il s’agissait bien du nom, pas du verbe.
Tout le long de la présentation, le fond m’échappait tant la forme me faisait grincer des dents. D’une diapositive à l’autre, les graphies PROFILE et PROFIL alternaient. Cette alternance du nom et du verbe indiquait une désinvolture, une négligence plutôt qu’une erreur de bonne foi. Sans oublier les nombreuses autres erreurs de grammaire, de syntaxe et, comme on pouvait s’y attendre, de typographie. Manifestement, ce document PowerPoint n’avait pas fait l’objet d’une révision attentive.
En tant que rédactrice agréée polie et aguerrie, j’ai adopté le même « profil » que pour la cinquantaine de cours universitaires auxquels j’ai assisté : muette tant que mon avis n’est pas requis. Cette attitude m’a évité bien des conflits, car la situation s’est répétée encore et encore, tout au long de ce parcours collégial de cinq années.
Au fil des années, des enseignants découvrant mon métier ont même pris l’habitude de me consulter subtilement, me demandant de jeter un œil sur une présentation pendant la pause avant sa projection, par exemple.
Que doit-on en déduire?
Comme vous, je vois des erreurs partout : sur les réseaux sociaux, dans les sites de nouvelles, mais aussi dans les travaux universitaires que je corrige et la production de mes collègues en communication. Que doit-on en déduire? Les erreurs sont-elles une expérience indissociable de l’acte d’écrire? J’y répondrai par une autre question : doit-on être un cordon bleu pour obtenir le privilège d’allumer l’élément d’une cuisinière?
Doit-on se surprendre alors que l’écriture fasse l’objet d’une branche professionnelle qui en assure la qualité? Est-il anormal que les rédactrices et rédacteurs professionnels reconnus par la SQRP se démarquent par des services de rédaction et de révision jugés supérieurs? Pas du tout, car c’est un service essentiel. N’y a-t-il pas des ingénieurs et des architectes qui apposent leur sceau final sur tout chantier d’envergure?
Et si ces supposées lacunes de l’enseignement supérieur représentaient plutôt le symptôme d’un autre déséquilibre : celui engendré par le fait d’occulter la rédaction professionnelle? On déplore les erreurs d’orthographe, de syntaxe, les difficultés à lire un texte et à bien en comprendre le sens. Mais où sont les aptitudes rédactionnelles? Qui enseigne à nos étudiants et étudiantes l’art de savoir adapter leurs écrits, en tenant compte du contexte, du public cible?
Heureusement, il existe une profession vouée à la rédaction professionnelle. Ces étudiants et étudiantes pourront ainsi faire appel à ces rédactrices et rédacteurs et à leurs compétences complémentaires aux leurs lorsqu’ils occuperont des emplois sur le marché du travail.
Ce diagnostic posé par le ministère de l’Enseignement supérieur nous permettra, certes, de confirmer ou d’infirmer cette impression jusqu’à maintenant passablement subjective sur la maîtrise du français dans nos cégeps et nos universités. Les correctifs nécessaires, le cas échéant, gagneront ensuite à toucher tous les échelons, tant du côté du corps étudiant que de ceux et celles qui leur enseignent. Il n’y aurait certainement aucun mal à resserrer les exigences, ne serait-ce que pour le seul caractère formateur de l’apprentissage des règles de grammaire.
Mais, si possible, profitons de cette analyse pour revoir le rôle trop souvent négligé – voire oublié – de la rédaction professionnelle, cette expertise pourtant fort précieuse dans notre société qui s’acquiert au prix de nombreux efforts et années de travail acharné.