Il y a quelques mois, j’ai reçu par la poste un document dûment plié malgré la timide exhortation qui suppliait le facteur d’en réfréner l’envie. « Peu importe! », ai-je pensé en ouvrant avec une joie sauvage l’enveloppe contenant mon diplôme de graphiste.
Ce modeste bout de papier confirmait en grande pompe la fin de cinq longues années à passer la majeure partie de mes temps libres avec un ordinateur portable sur les genoux tout en maudissant cette impulsion qui m’avait poussée à m’inscrire pour le plaisir à une attestation d’études collégiales en graphisme au collège Ahuntsic.
Finis les exercices et travaux complexes au moyen de logiciels comprenant des millions de combinaisons de fonctions encore plus complexes, le dos courbé sur un écran de 13 pouces, assise dans un divan trop mou à rater toutes les séries de l’heure. Mon salon pourrait enfin retrouver sa fonction initiale de havre de paix dans le tumulte de mon quotidien. En résumé, j’étais ivre de liberté.
La rédaction au temps du coronavirus
Puis arriva la situation que vous connaissez… COVID-19 oblige, je me suis retrouvée de nouveau enchaînée à ce même portable, le dos courbé dans ce divan trop mou, à la différence que ma sentence se déroule maintenant en mode télétravail pendant les heures ouvrables… Bien sûr, je reconnais que ma position est tout de même enviable. Je dirais même plus que je suis bénie des dieux de pouvoir continuer à pratiquer mon métier dans le « confort » de mon foyer. Je le sais et j’en remercie quotidiennement la providence (tout en lui soufflant à l’oreille qu’un retour à la normale dans un délai raisonnable mais rapide contribuerait encore plus à maintenir sa bonne réputation).
Passé le choc de cette crise planétaire qui nous touche autant à titre personnel que professionnel (et après avoir fait ma provision réglementaire de pâtes alimentaires et de papier hygiénique…), je me suis retroussé les manches et ai secoué mes neurones pour qu’elles retombent dans les bonnes cases.
Rien ne m’empêche de faire mon travail de chez moi! me suis-je convaincue. En plus, je serai prémunie contre les « dangers » du travail à domicile, les ayant listés avec humour de long en large dans mon Guide impertinent du rédacteur : pas de Netflix, seulement des visites contrôlées au réfrigérateur, une douche chaque matin et des habits de ville propres avant d’ouvrir la boutique!
Un nouveau quotidien s’installe
Puis les demandes habituelles de révision et de rédaction ont commencé à m’être acheminées par les membres de mon organisation (nombreux à me nommer « Réda » en hommage à mon titre de rédactrice agréée).
Tout en gardant un oeil sur les nouvelles catastrophiques, je me suis attelée à la tâche avec application.
Un message corporatif à écrire? Certainement! Laisse-moi quelques minutes pour y penser et je te ponds quelque chose.
Un communiqué à réviser? Bien sûr!
Hum… Je ne vais faire qu’une seule lecture sur papier, ai-je pensé. Avec cette nouvelle imprimante intelligente dont la seule intelligence consiste à refuser toute cartouche autre que les siennes vendues à prix d’or, qui sait quand je pourrai me fournir lorsque celle-ci aura craché tout son fiel? Après tout, on me répète depuis des années que je peux très bien réviser à l’écran (malgré les réserves que j’ai insérées noir sur blanc dans mon guide).
Les conséquences des circonstances
Ayant retourné le communiqué dûment révisé à mon collègue, j’eus un hoquet en voyant le résultat sur le fil de presse :
Plus d’une trentaine de compagnies ont déjà offert leur aide. Certaines ont été qualifiés de services essentiels…
Non! Pourquoi avait-il ajouté cette phrase sans me faire relire une deuxième version?
Inquiète, j’entrepris de relire l’ensemble du communiqué pour lui signaler toute autre nouvelle coquille devant être rattrapée. Sans surprise, j’en ai trouvé une… de mon cru! Un vilain « du » oublié qui avait échappé à ma légendaire vigilance.
On respire, on garde son calme! Voilà simplement le résultat de mon « trouble d’adaptation » au télétravail. J’ai toujours eu l’habitude d’omettre les particules en tout genre. Rien de nouveau. Sur papier, je l’aurais vu ce fichu du!
Rassérénée, j’ai repris ma carrière de rédactrice, gonflée d’une motivation à toute épreuve.
Un autre communiqué se présenta sur la chaîne de montage. Au diable la cartouche d’encre et faisons une révision traditionnelle sur papier!
Confiante en ma révision, je transmis le résultat à ma collègue, mais lui offris généreusement un peu plus tard d’y ajouter une citation extraite d’une allocution pour un dignitaire sur laquelle je travaillais. Elle accepta avec enthousiasme. Voilà qui aurait un effet boeuf dans son communiqué!
Une coquille après l’autre…
Quelques heures plus tard, je vis ce communiqué diffusé avec grandiloquence dans le fil de presse avec, dans ma citation ajoutée, la perle suivante :
… nos employés demeurent à votre service avec le concourt de l’équipe…
J’en étais à chercher l’orthographe du mot « hara-kiri » pour ma lettre d’adieu quand arriva dans ma boîte de réception un message encourageant de notre plus haut dirigeant. Et quand je dis « encourageant », ce n’est pas seulement sur le plan de la teneur mais aussi pour ce que j’y ai lu :
…qui prennent le relai en…
Puis, dans les heures suivantes, je me mis à remarquer coquille sur coquille dans toutes les sources d’information que je consultais! Même les plus rigoureuses!
Les rédacteurs et rédactrices sont humains
Et pourquoi pas? Tous les rédacteurs et rédactrices de ces sources prennent place dans le même bateau. Notre 100 % en mesures d’urgence ne correspond peut-être pas au 100 % de n’importe quel mardi après-midi d’avant, mais nous pouvons être fiers de continuer à ramer. Accordons-nous, tout comme aux autres rameurs, un brin d’indulgence tant que durera la crise.
Après trois semaines d’apathie les soirs de semaine à enfiler les rangs d’un tricot rose qui sera certainement trop petit ou trop grand au bout du compte, j’ai ressenti de nouveau cette envie furieuse de m’exprimer sur notre métier. Je considère que c’est un très bon signe et vous souhaite d’avoir également renoué avec ce qui vous faisait auparavant vibrer.
Quoi de mieux pour conclure que de répéter avec conviction que « ça va bien aller » (que, dans un moment de fatigue, je me surprendrai peut-être à écrire « sa va bien allé »)!
Chargée de communications et membre du conseil d’administration de la SQRP, Josée Boudreau se spécialise dans la rédaction et la révision de communiqués, d’allocutions, de publications et autres pour un arrondissement montréalais. Parallèlement, elle se plaît à encourager et à soutenir la relève, ce qui lui a inspiré l’écriture du Guide impertinent du rédacteur, publié en 2019 aux éditions au Carré.